Pourquoi je n’embaucherai pas Marcel…

RPF-ENA

J’ai trouvé ce texte remarquable de Jacques Clouteau.
Tout y est concernant le travail et le côté économique des choses dans notre pauvre pays, tombé aux mains de cette caste de sous-produits de soviets, acoquinés aux banquiers cosmopolites, (encore) maitres du monde : 
” Voilà pourquoi je n’embaucherai pas Marcel ” …
 
 
” Mon nom est Alcide Repart, j’ai 53 printemps au compteur de ma vie. Après de nombreuses années passées en Autralie, je suis revenu voici quelques mois afin de reprendre la petite entreprise de mon père, qui était fabricant de brouettes. Chacun se souvient de ce célèbre slogan des années 1960 « Quand toutes les autres s’arrêtent, seule la brouette Repart… »
 
En fin d’année 2014, j’ai mis au point une nouvelle brouette, plus légère et plus stable, avec laquelle je pense augmenter mon revenu, qui sinon demeurera bien modeste. Si les ventes suivent, je ne pourrai pas assumer seul la fabrication, et il me faudra embaucher un compagnon dans l’atelier. J’avais pensé demander à Marcel, qui est un brave gars du village et qui recherche justement du travail. Mais ne connaissant rien aux lois françaises, car je suis resté longtemps loin du pays, j’ai parlé avec des amis artisans, je suis allé à la chambre des métiers, j’ai consulté internet, et je vais vous expliquer pourquoi je n’embaucherai pas Marcel.
 
Je pensais donner à Marcel 100 euros par jour, s’il me fabrique quatre brouettes. Enfin moi je peux en construire quatre, parce que je ne compte pas mes heures. Mais j’ai appris qu’une loi interdisait de faire travailler un employé plus de sept heures. Alors je ne comprends pas pourquoi Marcel, travaillant moins que moi, et fabricant donc moins, gagnerait plus que moi sans avoir aucune responsabilité.
Voilà pourquoi je n’embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas philanthrope.
 
Ces 100 euros journaliers, je comptais lui donner chaque vendredi soir, à l’issue de la semaine de travail, comme le faisait mon père autrefois, soit 500 euros tout rond s’il a travaillé du lundi au vendredi, et 400 euros si la semaine compte un jour férié. Mais j’ai appris que désormais, on devait payer les salariés chaque mois, ce qui est totalement niais vu que, chacun le sait bien, les mois n’ont pas le même nombre de jours et sont semés de jours fériés… Ce n’est peut-être pas la faute de Marcel, mais en tout cas pas de la mienne. Je ne vois pas pourquoi je lui donnerais la même somme en février qu’en janvier, car mon père m’a toujours appris qu’à tout salaire doit d’abord correspondre un travail.
Voilà pourquoi je n’embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas une banque chargée de compenser les bosses du calendrier.
 
Je croyais aussi qu’il suffisait de lui donner cet argent, et de le déclarer aux Impôts, pour être en règle avec la loi. Mais j’ai appris qu’il fallait écrire un bulletin, avec une bonne vingtaine de lignes, et prendre à Marcel, sur l’argent que je lui dois, un certain pourcentage, pour aller le donner à une palanquée d’organismes divers aux noms exotiques : Urssaf, pôle emploi, etc… Sur les 500 euros hebdomadaires que je comptais donner à Marcel, une fois servis ces organismes, il lui en restera moins de la moitié. J’ai objecté qu’alors, il ne pourrait pas vivre. On m’a répondu que certes il ne vivrait pas bien du tout, mais que par contre il était assuré contre tous les accidents de la vie : la maladie, la vieillesse, les coupures de doigts, la maternité (pour ceux qui n’ont pas suivi, Marcel est un mâle…), le chômage, la petite et la grande vérole (la petite c’est en standard, mais la grande c’est avec supplément), la grippe espagnole, et même le décès… Alors j’ai dit que tout ça était idiot, puisque Marcel pouvait très bien s’assurer lui-même pour ce qu’il voulait et que sa vie privée ne me regardait pas. En outre son grand-père possède un joli vignoble, donc il ne sera jamais dans le besoin en cas de chômage car il héritera bientôt de cette vigne. En outre sa grand-mère va lui léguer deux ou trois maisons qu’il pourra louer, donc cotiser pour la retraite ne servira à rien. En outre cotiser pour le décès ne veut rien dire non plus puisqu’il est célibataire et que s’il meurt il ne pourra toucher cet argent.
Et enfin j’ai argué que je ne comprenais rigoureusement rien à leurs paperasses et que j’avais autre chose à faire le soir, après avoir assemblé mes quatre brouettes, que de remplir des papiers et faire des chèques pour des risques qui ne me concernaient pas. On m’a méchamment répondu que c’était comme ça la solidarité en France depuis la guerre et que c’était pas autrement, et que si je ne payais pas tout ça on me traînerait devant une cour de justice et on me prendrait cet argent de force.
Voilà pourquoi je n’embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas scribouillard et redistributeur d’argent. Et que la nuit, j’ai besoin de me reposer. Et que, pour avoir donné un travail à quelqu’un de mon village, je ne veux pas courir le risque de finir devant un tribunal.
 
 
 
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J’ai toutefois demandé ce qui se passerait, si j’étais assez fou pour m’occuper de ces problèmes, au cas où Marcel se trouverait immobilisé par une brutale lombralgie après avoir riveté toute la journée. Avec un tel montant de cotisations, je ne doutais pas que Marcel fut choyé comme un prince, et que ladite assurance me fournirait prompto un Marcel bis pour continuer le travail. On m’expliqua alors que Marcel percevrait 80% de son salaire, puisque ce n’était pas de sa faute s’il était sans revenu, mais que moi, par contre, je devrais fournir les 20% restant, soit quasiment 300 euros par mois, jusqu’à ce que le Rhône se jette dans l’Euphrate, au nom d’une mystérieuse convention signée autrefois par une secte très occulte qu’on appelle partenaires sociaux. J’objectai que si Marcel avait une lombralgie, ce n’était pas ma faute non plus et que son assurance n’avait qu’à s’en occuper (c’est d’ailleurs à ça que ça sert, une assurance…). Et que si moi, je devais construire encore plus de brouettes pour payer ces 300 euros, c’est moi qui aurais la colonne vertébrale en quenouille. On me rétorqua alors que je n’aurais droit à rien du tout, vu que la colonne vertébrale d’un patron, c’était son problème à lui et pas celui de la solidarité nationale.
Voilà pourquoi je n’embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas assureur ni réassureur. Et que si je travaille, comme la majorité des gens, c’est pour moi, et pas pour les autres.
 
Je me suis aussi inquiété de ce que je ferais de Marcel si mes brouettes ne se vendent plus un jour et si je dois me séparer de lui. On m’a alors imprimé un document décrivant par le menu la procédure de licenciement. Je l’ai lue trois fois, avant d’abandonner. J’ai seulement compris que Marcel serait payé à ne rien faire un certain nombre de mois, et que l’argent pour le payer à ne rien faire sortirait de ma poche, alors même que je n’aurais plus de rentrées. Et pour pimenter la sauce, il faudrait que je lui verse une indemnité de licenciement, au moment où l’entreprise n’aurait plus d’argent, et moi les poches vides et plus de boulot…
J’ai objecté que si les clients ne veulent plus de mes brouettes, ce n’est bigrement pas ma faute, et que s’ils ne les achètent plus, je n’ai donc plus de trésorerie, donc je ne vois pas, sauf à puiser dans mes économies, comment je pourrais rémunérer Marcel, qui ne fabrique plus, avec de l’argent que je n’ai pas. On m’a rétorqué que un contrat c’est un contrat, et que je dois le respecter et qu’un patron se doit de fournir à ses salariés un minimum de sécurité. A quoi j’ai répondu ne pas comprendre comment je pourrais fournir à Marcel une sécurité que moi je n’aurai jamais… Je leur susurrai aussi que si je voulais embaucher Marcel, c’était pour lui donner un travail, pas pour lui assurer un salaire…
Voilà pourquoi je n’embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas nounou sociale.
 
 
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Un monsieur, se prétendant contrôleur du travail, avec des mains bien trop blanches pour savoir vraiment ce qu’était le travail, est venu visiter l’atelier de mon père. Il a poussé des cris de chouca en rut devant l’emboutisseuse, hurlant qu’elle n’était pas aux normes, et que si je mettais un employé devant cette machine, j’irais droit en prison. J’ai répondu que mon père avait travaillé 40 ans sur cette machine vénérable, et qu’il était seulement mort d’être trop vieux. Que de toute façon je n’avais pas le premier sou pour acquérir une nouvelle emboutisseuse, et qu’il y avait mille autres possibilités pour se blesser dans un atelier que d’aller mettre la main sous cette satanée machine.
Voilà pourquoi je n’embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas ange gardien.
 
Puis un jour, quelques mois après mon retour en France, un gentil courrier m’a annoncé que j’allais devoir, moi aussi, donner plus de la moitié de mon bénéfice, après avoir rémunéré Marcel, afin de bénéficier d’une protection sociale contre une montagne de calamités (curieux le lapsus légal qui vous fait bénéficier de choses diverses avec votre propre bénéfice…). J’ai décliné l’invitation, puisque j’avais, durant ma vie dans le Pacifique, économisé suffisamment pour être à l’abri. On m’a répondu que la protection, dans le doux pays de France, n’était pas une option personnelle, mais obligatoire, sous peine des pires sanctions financières et même de la prison.
Voilà pourquoi je ne vais sans doute pas continuer l’entreprise, et donc pourquoi je n’embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas un coffre-fort où vont puiser des gens que je ne connais pas pour me garantir des choses dont je n’ai nul besoin.
 
A cet instant de mes réflexions sur l’avenir de cette petite entreprise familiale, j’ai regardé l’allure des bâtiments où créchaient ces gens qui voulaient ma peau, je les ai trouvés tristes et laids. J’ai regardé la tête des employés de ces machines bureaucratiques auxquelles je m’adressais, je les ai trouvés déprimés et déprimants, j’ai regardé les imprimés que j’avais reçus, je les ai trouvés illisibles et incompréhensibles. Et j’ai pensé à mon grand-père et à mon père, fiers de leurs brouettes et heureux de satisfaire leurs clients. J’ai pensé au rêve que j’avais, en revenant en France, de retrouver ce bonheur simple durant une dizaine d’années, avant de goûter aux joies de la pêche à la ligne. Je me suis demandé pour quelles obscures raisons j’irais me crever le derrière pour faire vivre cette armée de parasites et entretenir un système qui est à l’absolu opposé de mes valeurs les plus sacrées. Parce que, voyez-vous, le travail a toujours été pour moi synonyme de bonheur. Et ce bonheur-là, tous ces organismes en ont fait un bagne…
 
Le problème dans tout ça, c’est que nous sommes cinq millions de petits artisans dans ce pays qui n’embaucherons pas Marcel… C’est ballot, n’est-ce pas… Mais après tout est-ce vraiment un problème ? Ne pas embaucher Marcel, ça fera plein de boulot pour les assistantes sociales, les pôlemployistes, les distributeurs de revenus minima, et bien sûr les fabricants de brouettes chinoises… Et la France, vue d’Australie, passera encore un peu plus pour le dernier pays communiste d’Europe de l’ouest.
 
 
 
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Quant à Marcel, il se demandera longtemps pourquoi je ne l’ai pas embauché. Il se trouvera bien quelques bonnes âmes pour lui susurrer que les patrons sont tous les mêmes, ils préfèrent se dorer la pilule dans le Pacifique que de jouer en France un rôle social de solidarité. Je n’ai jamais voulu jouer de rôle social, moi, parce que, voyez-vous, je suis un simple constructeur de brouettes… Et les autres, là-haut, les hauts fonctionnaires qui savent tout sur tout alors qu’ils n’ont jamais travaillé de toute leur vie (dans le sens où mon père entendait le mot “travail”), ils se demanderont longtemps pourquoi je suis reparti. Pas le temps de leur expliquer… Si à Bac+20 ils n’ont toujours pas compris, il est définitivement trop tard…
 
Dans quelques jours, je vais cesser de riveter des brouettes et je vais repartir dans le bush australien. Je vais fermer la porte du vieil atelier, qui a fait vivre ma famille pendant deux générations, et jeter la clé dans la rivière. J’aime toujours ce pays où je suis né, mais je n’ai pas le courage d’apprendre à devenir aussi abruti que ceux qui le dirigent aujourd’hui.”
 
 
 
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