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Gerbert d’Aurillac et les crêtes du Cantal.
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En marchant longuement sur l’humus souple ou le rocher osseux de ces crêtes rudes de Haute Auvergne, l’esprit prend son envol au delà de ses propres horizons. Le rythme léger du pas, allié à l’air vif lui permet d’embrasser d’un seul coup d’aile la géologie fantasmagorique de ces antiques volcans émaciés, mille fois burinés et érodés par le gouffre effrayant des siècles.
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Il me plaît ainsi souvent de remonter le temps … Ce même temps, qui sculpte d’aussi inexorable façon le rocher et la pâte de l’Histoire humaine…
Nous sommes en 945 de notre ère: Ici même…
En bas, dans la vallée de la Jordanne qui s’écoule paisible, est en train de naître un petit d’homme au sein d’une chaumière… à Belliac très exactement et à quelques enjambées d’Aurillac, que l’on devine à l’horizon Sud-Ouest…
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Ce petit d’homme sera un pâtre, gardant le troupeau familial de ces si belles vaches de Salers aux longues cornes en lyre et aux yeux maquillés, identiques à celles dont nous entendons les cloches devant nous …
… En ces temps donc, le pouvoir Carolingien s’écroule, les Normands vers l’an 900, après les Vandales et les Wisigoths, envahissent à leur tour l’Auvergne, en pillant et détruisant furieusement villes et monastères.
Ce petit pastouriau que nous voyons naître se nomme Gerbert, dont l’Histoire a gardé le souvenir sous le nom de Gerbert d’Aurillac. Dès son plus jeune âge, il fréquente l’abbaye voisine d’Aurillac, fondée par Saint Géraud, et dans le scriptorium duquel les moines copistes transcrivent dans le silence l’antique héritage gréco-romain.
Il y sera remarqué par ses éducateurs pour son inhabituelle agilité intellectuelle et bientôt envoyé dans les plus prestigieux centres d’études, loin de sa vallée natale… Esprit universel, mais aussi pratique, il construit des mécanismes d’horloges ou se penche sur la musique, par exemple (où il établit certaines règles permettant dès lors la naissance de la musique symphonique et non plus polyphonique…)
Sa sagesse et sa renommée devinrent telles dans l’Europe médiévale, qu’il jouera un grand rôle en coulisse dans de nombreux milieux, rôle qui aboutira en 987, au sacre d’Hugues Capet, comme Roi des Francs, après la mort du dernier roi Carolingien Louis V.
Gerbert d’Aurillac fera également l’éducation du fils d’Hugues Capet, le futur roi de France Robert le Pieux.
Gerbert fut le créateur de « la Paix de Dieu » qui fondera les bases morales de la société médiévale en imposant des lois à la guerre: trèves, neutralité des civils et des ecclésiastique, respect des ambassadeurs et des prisonniers, etc…
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Sur ces crêtes aux odeurs de genêts, dont le moutonnement fascinant entraîne mon esprit, j’imagine enfin Gerbert ultimement accéder au siège papal sous le nom de Sylvestre II lors de la mort du pape Grégoire V en janvier 999.
C’est le 12 mai 1003 qu’il fut rappelé au Père, laissant derrière lui le souvenir d’un homme simple et accompli suivant les critères de l’Ordre chrétien d’alors: Homme de foi, intellectuel et homme d’action …
Du haut de ces crêtes battues par les vents, on se prend alors à espérer la naissance de nombreux nouveaux petits Gerbert dans le creuset si malmené de notre vieux pays…
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